BIOGRAPHIE : Rudolf BRAZDA

Rudolf Brazda, né le 26 juin 1913 à Brossen (actuellement dans le Land de Thuringe, Allemagne), décédé le 3 août 2011 à Bantzenheim (France), était le dernier survivant connu de la Déportation pour motif d'homosexualité. Faisant suite à deux condamnations pénales pour infraction au paragraphe 175 de l'ancien code pénal allemand, il fut interné près de trois ans au camp de concentration de Buchenwald où il porta le triangle rose. Immédiatement après sa libération, il s'était installé en France où il vivait depuis mai 1945.

1913 - 1937 : Une famille dans les aléas géopolitiques de l'Europe Centrale

Rudolf Brazda est le huitième et dernier enfant de parents originaires de Bohème et venus s'installer en Saxe pour raisons économiques : son père travaille dans les mines de lignite avoisinantes. Après la Première Guerre mondiale, il est considéré comme ressortissant tchécoslovaque de par son ascendance. Son père, démobilisé en 1919, décédera en 1922 des suites d'un accident de travail.

Rudolf grandit à Brossen puis Meuselwitz où il fait son apprentissage de couvreur, à défaut d'avoir pu entamer une formation d'étalagiste dans un grand magasin. Au début des années 1930, profitant encore de la grande tolérance qui prévalait envers les homosexuels sous la République de Weimar - et ce jusqu'à l'arrivée de Nazis au pouvoir en 1933 - il fait la connaissance de Werner, son premier compagnon avec qui il partagera une sous-location chez une Témoin de Jéhovah, parfaitement consciente et tolérante de leur relation. C'est une période heureuse durant laquelle ils ont de nombreux amis gays avec qui ils se rendent dans des lieux fréquentés par d'autres homosexuels (par exemple le café-dancing "New York" à Leipzig) ou avec qui ils entreprennent des sorties à vélo, voire des excursions plus lointaines.

Lorsqu'en 1936 Werner est appelé sous les drapeaux, Rudolf se retrouve temporairement seul et acceptera un poste de groom dans un grand hôtel de Leipzig. Le renforcement des textes législatifs réprimant l'homosexualité initié en 1935 par le nouveau pouvoir en place attise le zèle délateur dans la population allemande. Ainsi, en 1937, faisant suite à des rafles, les aveux et dénonciations que la police extorque de certains de ses amis déjà inquiétés conduisent à son arrestation, puis à son procès et sa condamnation à Altenburg pour "débauche contre nature" (Widernatürliche Unzucht). Werner est semble-t-il aussi inquiété, mais les circonstances font qu'ils se perdent de vue. Ce dernier aurait été tué en service sur le front français en 1940 lors des offensives contre l'Angleterre.

1938 - 1941 : Vie dans les Sudètes

Ayant purgé la peine usuelle de 6 mois, Rudolf se voit notifier son expulsion vers sa patrie d'origine quelques semaines après sa sortie de prison en octobre 1937. En effet, d'un point de vue technique et légal il est citoyen tchécoslovaque et sa condamnation pénale le force à quitter l'Allemagne car il est maintenant considéré comme étranger avec antécédents judiciaires, donc persona non grata en Allemagne nazie. Ses parents ne lui ayant pas transmis le tchèque, il est quelque peu contraint de s'installer dans la région germanophone des Sudètes, province tchécoslovaque jouxtant l'Allemagne. Il choisit alors Karlsbad (actuellement Karlovy Vary en République tchèque). Après un retour à la vie laborieux, il intégrera une troupe de théâtre itinérante spécialisée dans l'opérette et les numéros de cabaret.

Lorsque les Sudètes sont annexées au Reich par le pouvoir nazi en 1938 ses collègues de la troupe ainsi que son directeur - pour la plupart juifs - sont très vite arrêtés, faute d'avoir pu quitter à temps le pays et se réfugier au Canada.

En 1939 Rudolf retrouvera un travail de couvreur et va loger à la même adresse qu'Anton, son nouvel ami. En avril 1941, il est une fois de plus impliqué indirectement lors de poursuites menées contre deux de ses proches connaissances. Il est à nouveau emprisonné, d'abord à Karlsbad, puis transféré à la prison d'Eger (actuellement Cheb en République tchèque) après un nouveau procès. En juin 1942, sa "détention de sûreté" (Schutzhaft) est ordonnée et sera le prélude à sa déportation. Commence un périple carcéral qui le refait passer par Karlsbad, puis par d'autres prisons avant de rejoindre le camp de concentration où il est envoyé.

1942 - 1945 : Déportation au KL Buchenwald

Déporté au camp de concentration de Buchenwald en août 1942, il y restera jusqu'après la libération du camp par les forces américaines le 11 avril 1945. Son numéro de matricule était le 7952. Ayant d'abord dû exécuter des travaux de force dans la carrière, il y sera affecté à des tâches plus légères à l'infirmerie, avant d'intégrer un kommando de couvreurs en charge de l'entretien des toitures des nombreux bâtiments constituant le camp (baraquements, casernements, bâtiments administratifs ainsi que les lieux de résidence surveillée pour certains déportés politiques importants). Il sera à de nombreuses occasions le témoin des sévices endurés par les homosexuels et les autres catégories de détenus, ayant parfois vent du sort funeste réservés à ceux - handicapés, mutilés ou inaptes au travail - qui étaient convoqués à l'infirmerie et n'en revinrent pas, assassinés par injection mortelle. [cf : Pierre Girard : Rudolf Brazda - "Nous, les triangles roses...", Têtu (magazine) | Têtu n° 140, janvier 2009]

Avec l'aide d'un kapo qui le cachera dans la porcherie du camp, il échappe aux marches forcées de détenus lors de l'évacuation du camp par les SS au début du mois d'avril 1945. [cf : Florence Perret, ''Le "Triangle rose" surgi de l'oubli, L'Hebdo n° 23, semaine du 4 juin 2009]

Au sein de son kommando de couvreurs, il aura l'occasion de nouer des liens avec d'autres détenus, notamment avec des communistes dont Fernand, un alsacien originaire de Mulhouse. À sa sortie du camp, plutôt que de retourner dans sa famille restée habiter en Allemagne, Rudolf suit Fernand qui avait été déporté politique (ancien volontaire des Brigades internationales allé combattre le régime de Franco en 1936). Début mai 1945, ils arrivent en France par le Luxembourg et se trouvent à Metz lorsque la capitulation est annoncée. De là ils se rendent à Mulhouse par Belfort. La vie reprend son cours et Rudolf trouve un travail de couvreur tandis que, peu de temps après, Fernand se voit confier un poste dans l'administration d'un camp de prisonniers de guerre en Forêt-Noire où il rencontrera sa future épouse. Fernand décède en 1984.

Depuis 1945 : Vie dans le Sud de l'Alsace

Rudolf s'installe à Mulhouse et y fréquente les lieux de rencontres des homosexuels de la ville, dont le Square Steinbach, cet endroit même où la vie de Pierre Seel (1923-2005), autre déporté pour homosexualité, avait basculé quelques années plus tôt.

Il aime aussi danser et se travestir à l'occasion des bals costumés organisés durant ces années d'après guerre. C'est lors d'un de ces bals, au début de l'année 1950, qu'il rencontrera Édouard (Edi), son futur compagnon de vie.

Ce dernier, né en 1931 à Ruma (actuelle Serbie), est un banatais : il est issu d'une famille aux racines alsaciennes et dont les ancêtres avaient été incités au XVIIIe siècle par Marie-Thérèse d'Autriche (1717-1780) Marie-Thérèse d'Autriche à aller exploiter et mettre en valeur le Banat, ancien territoire à cheval sur les actuelles Roumanie, Serbie et Hongrie. Ces populations de souche allemande / germanophone ayant conservé la langue et les traditions propres à leur contrée d'origine, elles deviennent indésirables après guerre dans les pays libérés du joug nazi. Edi arrive en France en juillet 1949 en compagnie de ses parents et de ses cadets - deux sœurs et un frère. Ils ont le titre de réfugiés yougoslaves et participent à l'effort de reconstruction industrielle et agricole. La famille s'établit définitivement à Mulhouse.

Avec Edi, Rudolf finit de construire en 1962 une maison dans laquelle il habite encore aujourd'hui.
Pendant plus de 30 ans Rudolf s'occupera avec beaucoup de dévotion de son compagnon, rendu invalide par un grave accident de travail. Edi décède en novembre 2003 au terme de plus de 50 ans de vie commune avec Rudolf.

À partir de 2008 : reconnaissance de sa déportation et travail de mémoire

Considéré comme apatride après la Seconde Guerre mondiale, Rudolf Brazda a été naturalisé Français en 1960. Bien que n'ayant jamais eu la citoyenneté allemande, il continue de ne s'exprimer quasiment qu'en allemand. Il réside aujourd'hui encore près de Mulhouse et, en dépit de son âge, a su rester très autonome et vif d'esprit, spectateur assidu des journaux télévisés et des émissions d'information. Ainsi donc, lorsqu'au début 2008, il entend parler de l'inauguration prochaine du monument aux victimes homosexuelles du Nazisme (Homosexuellen-Denkmal) à Berlin, il demande à sa nièce de le faire connaître auprès de l'association LSVD Berlin Brandenburg (Fédération allemande des associations gays et lesbiennes - Délégation du Land de Berlin-Brandebourg).

Le 28 juin 2008, soit deux jours après avoir fêté ses 95 ans, il est invité en compagnie de Klaus Wowereit, maire de Berlin, à une cérémonie au monument inauguré un mois auparavant. Dans l'après-midi, il est à l'honneur de la Gay Pride de Berlin qu'il inaugure.

Début juin 2009, il est invité d'honneur de l'Europride à Zürich.
Fin juin, il se rend de nouveau à Berlin pour les manifestations autour du CSD (Christopher Street Day), cédant à l'insistance des organisateurs. Sa participation se soldera par une chute malencontreuse entraînant quelques éraflures et deux côtes cassées !

Le 15 mai 2010, en compagnie de Jean-Marie Bockel, Secrétaire d'État à la Justice, Rudolf co-dévoile une plaque mémorielle rendant hommage à Pierre Seel et aux autres Mulhousiens anonymes, arrêtés et déportés pour motif d'homosexualité [cf : Emmanuel Delahaye, Hommage aux déportés homosexuels, L'Alsace, 16 mai 2010]. Une première française dans la reconnaissance de la déportation des homosexuels.

Le 12 juin 2010, Rudolf Brazda s'est vu décerner la médaille d'or et le titre de Citoyen d'Honneur de la ville de Toulouse, lors d'une réception dans les salons du Capitole. Après l'inauguration d'une rue Pierre Seel, le 23 février 2008, la ville rose entendait ainsi poursuivre ses efforts de pionnière française dans la reconnaissance de la déportation pour motif d'homosexualité.

Le 25 juillet 2010, à l'initiative de la Aids-Hilfe Weimar und Ost-Thüringen e.V., Rudolf est à l'honneur sur le lieu de son ancien camp de concentration lors d'une cérémonie commémorative à laquelle assistent également le maire de Weimar, les ministres et secrétaires d'état à l'économie du Land de Thuringe ainsi qu'une délégation mémorielle française. Après la cérémonie Rudolf a encore une fois l'occasion de témoigner de son vécu devant l'assistance et les médias. [reportage]

Samedi 25 septembre 2010, Rudolf était symboliquement présent à l'ancien camp de concentration de Natzwiller, communément appelé le Struthof, lors de la cérémonie de dévoilement d'une plaque portant l'inscription : A LA MÉMOIRE DES VICTIMES DE LA BARBARIE NAZIE, DÉPORTÉES POUR MOTIF D'HOMOSEXUALITÉ. [Journal télévisé de 20h , TF1, 25 septembre 2010, Journal de 20heures.] [notre reportage]

Le 29 novembre 2010, à l'occasion d'une conférence sur la déportation homosexuelle à l'hôtel de ville de Nancy, il reçoit la médaille d'or de la ville des mains de son maire, André Rossinot. [reportage]

Le 15 mai 2010, en compagnie de Jean-Marie Bockel, Secrétaire d'État à la Justice, Rudolf co-dévoile une plaque mémorielle rendant hommage à Pierre Seel et aux autres Mulhousiens anonymes, arrêtés et déportés pour motif d'homosexualité [cf : Emmanuel Delahaye, Hommage aux déportés homosexuels, L'Alsace, 16 mai 2010]. Une première française dans la reconnaissance de la déportation des homosexuels.

Le 12 juin 2010, Rudolf Brazda s'est vu décerner la médaille d'or et le titre de Citoyen d'Honneur de la ville de Toulouse, lors d'une réception dans les salons du Capitole. Après l'inauguration d'une rue Pierre Seel, le 23 février 2008, la ville rose entendait ainsi poursuivre ses efforts de pionnière française dans la reconnaissance de la déportation pour motif d'homosexualité.

Le 25 juillet 2010, à l'initiative de la Aids-Hilfe Weimar und Ost-Thüringen e.V., Rudolf est à l'honneur sur le lieu de son ancien camp de concentration lors d'une cérémonie commémorative à laquelle assistent également le maire de Weimar, les ministres et secrétaires d'état à l'économie du Land de Thuringe ainsi qu'une délégation mémorielle française. Après la cérémonie Rudolf a encore une fois l'occasion de témoigner de son vécu devant l'assistance et les médias. [reportage]

Samedi 25 septembre 2010, Rudolf était symboliquement présent à l'ancien camp de concentration de Natzwiller, communément appelé le Struthof, lors de la cérémonie de dévoilement d'une plaque portant l'inscription : A LA MÉMOIRE DES VICTIMES DE LA BARBARIE NAZIE, DÉPORTÉES POUR MOTIF D'HOMOSEXUALITÉ. [Journal télévisé de 20h , TF1, 25 septembre 2010, Journal de 20heures.] [notre reportage]

Le 29 novembre 2010, à l'occasion d'une conférence sur la déportation homosexuelle à l'hôtel de ville de Nancy, il reçoit la médaille d'or de la ville des mains de son maire, André Rossinot. [reportage]

Bien que parfois dépassé par sa notoriété, il essayait de répondre au mieux aux sollicitations dont il faisait l'objet (établissements scolaires, associations LGBT, TV, presse écrite et radio, etc.) pour témoigner de son passé insolite et riche à la fois. Il espèrait ainsi que les nouvelles générations sauraient rester vigilantes face aux dérives qui conduisirent à sa répression et aux persécutions d'homosexuels par le régime nazi.

Rudolf soutenait les travaux de recherche de notre association dont il est membre "Témoin de l'Histoire" depuis le 3 octobre 2008.

Sa biographie ''Itinéraire d'un Triangle rose'' livre à la postérité le témoignage unique du dernier déporté pour motif d'homosexualité et montre comment la répression de l'homosexualité par les nazis a marqué son parcours de vie.

Rudolf s'est endormi paisiblement pour toujours à l'aube du 3 août 2011. Il résidait depuis le mois de juin dans un établissement hospitalier pour personnes âgées dépendantes à Bantzenheim (68).

Ses obsèques ont eu lieu lundi 8 août à Mulhouse. Conformément à ses dispositions testamentaires, sa dépouille a été incinérée et ses cendres déposées à côté de celles de son compagnon de vie de plus de 50 années, Édouard Mayer, décédé à Mulhouse en 2003.

Pour tout renseignement ou emprunt de documents ayant appartenu à Rudolf, merci de vous adresser à Jean-Luc Schwab, notre délégué en Alsace et son exécuteur testamentaire.

Navigation rapide

Photo d'art prise à Mulhouse, fin des années 1940 - Collection privée - Droits réservés

Karlsbad : Rudolf avant guerre avec deux amies de la troupe Fischl-Theater-Bühne Collection privée - Droits réservés

Le 21 mars 2009, lors du voyage à Buchenwald, accompagné de notre délégué photo Jean-Luc Schwab - Droits réservés

Années 1950: en compagnie d'Edi (à gauche) sur les marches du Temple Saint-Étienne à Mulhouse Collection privée - Droits réservés

Rudolf Brazda chez lui - juillet 2008 Photo Jean-Luc Schwab/Les "Oublié(e)s" de la Mémoire - Droits réservés

À découvrir

samedi-dimanche 26-27 février 2011 - Histoire d'ici : "Le dernier "triangle rose" se souvient de Buchenwald"

L'excellent article de Florence Perret pour le magazine suisse L'Hebdo du 04 juin 2009. Cet article a été écrit dans le contexte de l'Europride2009 de Zurich à laquelle Rudolf avait été convié.

Visite à Bad Arolsen de Rudolf Brazda le 24 novembre 2009. Ce fut l'occasion, de plus en plus rare pour le personnel du Service International de Recherches d'accueillir le dernier survivant connu des Triangles roses qui voyait ainsi pour la première fois depuis sa libération en avril 1945 les documents concernant sa détention à Buchenwald.

Reportages vidéos

Le reportage consacré à Rudolf Brazda réalisé par TVDoller, diffusé sur en 2 parties